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Comprendre la gestion des risques de la chaîne d’approvisionnement

Auteur
Jacint BALINT
DevOps Engineer
Security and Risk Management - Cet article fait partie d'une série.
Partie 11: Cet article

La gestion des risques liés à la chaîne d’approvisionnement (Supply Chain Risk Management – SCRM) est devenue une problématique incontournable en cybersécurité. Dans un monde hyperconnecté, la multitude de fournisseurs – qu’il s’agisse de matériel, de logiciels ou de services – expose les organisations à une surface d’attaque particulièrement vaste. Maîtriser le Supply Chain Risk Management est donc essentiel pour protéger les actifs, préserver la réputation et assurer la continuité des activités.

Qu’est-ce qu’une chaîne d’approvisionnement ?
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Une chaîne d’approvisionnement (supply chain) désigne l’ensemble des acteurs impliqués dans la conception, la fabrication, la distribution et le maintien de produits ou services d’une entreprise. Par exemple, dans le secteur informatique, elle englobe aussi bien les fournisseurs de composants hardware que les éditeurs de logiciels ou encore les prestataires extérieurs pour la maintenance et la sécurité.

La sécurité de cette chaîne est fondamentale, car un incident chez un partenaire peut avoir un impact systémique, déstabilisant non seulement sa cible directe mais aussi l’ensemble des clients en aval – y compris l’organisation finale.

Risques liés à l’acquisition de produits et services
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Risques matériels (hardware risks)

L’acquisition de matériels auprès de tiers introduit des risques spécifiques. L’un des plus critiques est l’implantation de hardware Trojans, circuits électroniques ajoutés subrepticement pour compromettre la sécurité du dispositif ou lui conférer des fonctionnalités non autorisées (par exemple, portes dérobées, exfiltration de données). Ces menaces peuvent survenir à différentes étapes, de la conception à l’assemblage.

Autre risque majeur : les pièces contrefaites (counterfeit components). Intégrer des composants non authentiques fragilise la fiabilité et l’intégrité du système, et complique la traçabilité si une défaillance survient.

Risques logiciels (software risks)

Le logiciel, et notamment les bibliothèques de tiers, peut être la cible de compromissions volontaires (supply chain attack) :

  • Utilisation de bibliothèques modifiées (trojanized software)
  • Attaques par infiltration dans les dépôts ou par des insiders chez le fournisseur
  • Reprises de code intégrant des failles ou des implants

L’un des dangers emblématiques de cette catégorie est l’introduction d’implants logiciels, qui peuvent rester dormants et être déclenchés à distance ou lors de la livraison d’une mise à jour logicielle.

Risques liés aux services (third-party and outsourcing risks)

L’externalisation croissante expose l’organisation à la surface de risque de ses fournisseurs (managed service providers, MSP). Si une fonction est externalisée, la responsabilité du risque, elle, reste inaliénable pour l’organisation cliente. Un incident (exemple : fuite de données, interruption de service) rejaillira sur le donneur d’ordre, potentiellement avec des conséquences juridiques, réglementaires ou réputationnelles.

Mesures de réduction des risques (Risk Mitigations)
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Pour contrer ces menaces, la gestion de la chaîne d’approvisionnement exige une approche systémique et la mise en œuvre de contrôles à chaque étape critique.

Évaluation et surveillance des tiers (Third-party assessment and monitoring)

La première étape consiste à évaluer et surveiller rigoureusement la posture de sécurité de chaque fournisseur. Cette évaluation doit inclure :

  • L’audit initial de leur programme de sécurité
  • Des inspections sur site et des entretiens
  • La revue de leurs certifications (par exemple, ISO 27001, SOC 2)
  • La consultation d’audits externes et de rapports de conformité
  • La vérification de la présence d’un plan de continuité (Business Continuity Plan – BCP)

Cette surveillance ne doit pas être ponctuelle, mais continue – avec des revues régulières, la consultation des alertes de sécurité, la vérification de l’efficacité des clauses contractuelles, etc.

Mise en place d’exigences minimales de sécurité (Minimum Security Requirements)

Les contrats établis avec les fournisseurs doivent définir explicitement les exigences minimales en matière de sécurité, en séparant :

  • La protection des données (proactive cybersecurity measures)
  • La gestion des incidents (incident response)
  • Les moyens de vérification et d’audit à disposition du client

Toute lacune, ambiguïté ou omission peut rendre caduc le contrat, voire l’ensemble de la collaboration. Une spécification rigoureuse est donc fondamentale.

Accords de niveau de service (Service Level Agreements – SLA)

Les Service Level Agreements sont des contrats où le prestataire s’engage sur la qualité de service (par exemple, disponibilité, temps de réponse, réversibilité). En cas de manquement, des pénalités financières sont appliquées. Les SLA sont une arme contractuelle précieuse pour garantir le sérieux du fournisseur et instaurer des mécanismes correctifs en cas de dysfonctionnement.

Audits et certifications externes

Exiger la détention de certifications et l’audit par des tiers est une garantie supplémentaire. Les plus courantes :

  • ISO 27001
  • PCI DSS
  • SOC1 et SOC2
  • FedRAMP (pour les fournisseurs soumis aux régulations US)

De telles preuves attestent de la maturité du fournisseur en matière de cybersécurité.

Technologies de confiance et traçabilité
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Silicon root of trust

Certaines organisations imposent l’intégration de silicon root of trust, circuits matériels cryptographiques capables de vérifier l’intégrité du matériel dès le démarrage. Cette racine matérielle de confiance apporte un niveau accru d’assurance sur la non-altération des composants dès les premiers cycles d’exécution.

Physically Unclonable Function (PUF)

Une Physically Unclonable Function génère une identité unique à partir des variations intrinsèques d’un composant matériel, rendant pratiquement impossible la reproduction à l’identique d’un composant. Utilisées dans l’authentification ou la sécurisation de secrets matériels, elles constituent une ligne de défense contre les contrefaçons ou la suppression de l’authenticité en supply chain.

Software Bill of Materials (SBOM)

Le Software Bill of Materials est une liste structurée des composants logiciels (librairies, dépendances, modules, etc.) présents dans un produit. Imposer la fourniture d’un SBOM permet :

  • D’accroître la traçabilité logicielle
  • De faciliter la détection de vulnérabilités ou de composants obsolètes/dangereux
  • De répondre plus efficacement à des campagnes de patch ou à des alertes de sécurité

La création et la mise à jour du SBOM doivent être intégrées dans les exigences contractuelles comme dans les politiques de sécurité de l’organisation.

Gouvernance et responsabilité partagée
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Le management des risques supply chain relève d’une gouvernance partagée. Aucun fournisseur ne doit être considéré comme « parfaitement » fiable sans contrôle continu. La délégation d’une fonction ne doit pas devenir une délégation de la vigilance : la responsabilité de la sécurité reste toujours chez le client final.

Il devient crucial d’établir une cartographie précise de la chaîne d’approvisionnement, de qualifier les risques à chaque maillon (upstream / downstream), et de mettre en place un dispositif de surveillance et de gestion continue des risques et des incidents.

Approche continue et amélioration permanente
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Le paysage des menaces et la composition des chaînes de fournisseurs évoluent en permanence. La gestion des risques supply chain ne peut se limiter à une analyse initiale : elle s’inscrit dans un cycle d’amélioration continue. Cela suppose :

  • La réévaluation régulière des risques de chaque fournisseur
  • L’ajustement contractuel lors de chaque évolution des exigences ou du contexte
  • L’intégration d’indicateurs de suivi de conformité et de performance
  • Le retour d’expérience après chaque incident, mineur ou majeur

Cette approche dynamique réduit la probabilité d’intrusion, de compromission ou de rupture de la chaîne d’approvisionnement.

Conclusion
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L’exigence de sécurité dans la chaîne d’approvisionnement est un enjeu stratégique majeur. Il ne s’agit plus de protéger uniquement l’organisation, mais d’intégrer dans sa démarche d’amélioration continue l’ensemble de son écosystème fournisseur, matériel et logiciel. Cela implique – dès la contractualisation – des exigences claires, des mécanismes de vérification et une gestion dynamique et partagée de la menace.

Les responsables cybersécurité doivent désormais s’approprier non seulement les concepts mais aussi les outils contractuels, techniques et organisationnels pour bâtir des chaînes d’approvisionnement robustes, résistantes aux attaques et capables de soutenir les ambitions de l’entreprise dans la durée.

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